La Réalité Virtuelle comme Option Thérapeutique pour la Gestion de la Douleur

Partout dans le monde, laboratoires de recherche et start-ups font progresser l’utilisation de la réalité virtuelle dans la gestion de la douleur et la neuropsychiatrie. Avec le rôle croissant de la réalité virtuelle dans les soins de santé, la technologie pourrait-elle offrir de nouvelles options de thérapie à distance efficaces voire même une solution à la crise des opiacés ?

Fig. 1 : Femme testant une expérience de réalité virtuelle thérapeutique avec un casque ©Oculus Go. ©PainkillAR.

Une brève histoire de la réalité virtuelle

Née dans les années 60, la réalité virtuelle est une technologie permettant à un individu, équipé d’un casque spécial, d’évoluer à l’intérieur d’une simulation générée par ordinateur. Afin de renforcer le sentiment d’immersion, l’expérience visuelle 3D s’accompagne de son voire d’interactions tactiles ou olfactives¹. Après des premières applications dans le domaine militaire et l’industrie, c’est l’univers du jeu vidéo et des films de science-fiction qui rend la réalité virtuelle populaire. Aujourd’hui l’ambition des grands groupes technologiques est de rendre cette technologie accessible au grand public, en témoigne le rachat de Oculus (fabricant leader de casques de réalité virtuelle) par Facebook en 2014 pour plus de deux milliards de dollars.

La réalité virtuelle comme outil thérapeutique

La réalité virtuelle investit de plus en plus le champ médical. De la formation des chirurgiens sur simulateur en réalité virtuelle² aux indications thérapeutiques (phobie, anxiété, stress post-traumatique et douleur) la liste des applications est longue.

Cette immersion dans un environnement glacial soulage les patients qui ressentent moins leurs brûlures et voient leurs douleurs baisser de moitié.

Début des années 2000, Hunter Hoffmann (Université de Washington) met au point « Snow World », un monde virtuel enneigé dans lequel on plonge des grands brûlés. Cette immersion dans un environnement glacial soulage les patients qui ressentent moins leurs brûlures et voient leurs douleurs baisser de moitié³. En 2017, l’équipe de Brennan Spiegel (Cedars-Sinai Los Angeles) teste la réalité virtuelle sur des patients en soins hospitaliers souffrant de tous types de douleurs. En plus de la baisse de la douleur ressentie, les résultats de cette étude⁴ montrent une diminution de la consommation d’antalgiques. En pleine crise des opiacés, ces travaux sont largement relayés par les médias américains qui mettent en lumière l’utilisation de la réalité virtuelle dans la prise en charge de la douleur. D’autres études (Canada, Europe) viennent confirmer ces résultats très prometteurs et ouvrent la voie vers une nouvelle thérapie non médicamenteuse pour le traitement de la douleur. Les principaux intérêts de la réalité virtuelle sont : son accessibilité — tant au niveau du prix que de l’usage — et l’absence d’effets secondaires.

Comment ça marche ?

Une séance de réalité virtuelle thérapeutique se déroule ainsi : on installe le patient confortablement assis ou semi-allongé puis on ajuste le casque de réalité virtuelle sur sa tête [Fig. 1]. Le patient apprécie pendant 10 à 15 min un voyage dans un paysage calme et relaxant parfois agrémenté d’exercices psycho-moteurs ou cognitifs [Fig. 2].

Fig. 2 : Exemples d’environnements virtuels utilisés en thérapie et relaxation. En haut, MedTrek ©PainkillAR, expérience de marche méditative. En bas, Lindra ©PainkillAR, application d’induction hypnotique.
En réalité virtuelle, on submerge le cerveau d’informations visuelles, sonores et spatiales qui mobilisent une partie de ses ressources. Comme dans un ordinateur, les sensations de douleurs sont reléguées en “tâches d’arrière-plan”.

L’un des mécanismes neuro-cognitif expliquant l’efficacité de la réalité virtuelle sur la douleur aiguë est la diversion et la modification des informations du cerveau. La diversion est connue de longue date pour être efficace pour des soins douloureux : une infirmière demandera, par exemple, à son patient de raconter ses dernières vacances pendant qu’elle lui retire ses points de suture. En réalité virtuelle, on submerge le cerveau d’informations visuelles, sonores et spatiales qui mobilisent une partie de ses ressources. Comme dans un ordinateur, les sensations de douleurs sont reléguées en “tâches d’arrière-plan”.

En ce qui concerne les douleurs chroniques, dont les mécanismes sont plus complexes et encore mal compris, les médecins et start-ups spécialistes de la réalité virtuelle thérapeutique trouvent leur inspiration dans la méditation pleine conscience et l’hypnose, techniques qui permettent de travailler sur des couches plus profondes de la psyché. Il est suggéré que d’autres mécanismes pourraient être impliqués dans les douleurs persistantes, notamment en modifiant la connectivité cérébrale⁵ qui est souvent altérée chez les patients douloureux chroniques⁶. Grâce aux nouvelles technologies de réalité virtuelle, des techniques utilisées en hypnose peuvent être facilement accessibles, en aidant la visualisation et l’induction. Ainsi les douleurs et leur retentissement dans la vie quotidienne diminués.

On sait, depuis les travaux sur les neurones miroirs de Rizzolatti⁷ et Ramachandran⁸, qu’il suffit de voir ou de simuler une action pour produire des effets sur l’interprétation que le cerveau fait du signal douloureux. L’exemple emblématique est le traitement de la douleur du membre fantôme (douleur persistante d’un membre amputé) : le simple fait de voir le membre sain bouger dans le miroir, dans un reflet qui se superpose au membre amputé, soulage quasi immédiatement la douleur dans le membre amputé. Alors même que le sujet est parfaitement conscient de son amputation ! Probablement qu’il se passe une chose similaire quand un.e patient.e se met en scène dans un environnement en réalité virtuelle lui proposant d’apaiser ses douleurs.

Conclusion

Les thérapies anti-douleur utilisant des expériences de réalité virtuelle sont aujourd’hui crédibles sur le plan scientifique et médical. Leur efficacité repose sur une modulation de l’attention et potentiellement sur d’autres mécanismes cérébraux complexes. Ces expériences de réalité virtuelle analgésiques conçues conjointement avec médecins, neuro-scientifiques, ingénieurs et patients pourraient compléter l’éventail de thérapies non médicamenteuses déjà existant. Cela peut permettre d’améliorer la prise en charge des patients douloureux chroniques, en particulier celles et ceux souffrant de maladies chroniques et inflammatoires telles que la polyarthrite rhumatoïde, la fibromyalgie ou la maladie de Crohn. La thérapie par réalité virtuelle pourrait être à terme une thérapie puissante, simple d’utilisation et efficace, aussi utile en soins hospitaliers et cliniques qu’en soins à domicile.

Auteurs

Dr. Guillaume Palacios✶, Dr. Florian Bailly†, Dr. Damien du Perron†, et Pr. Eric Serra‡
PainkillAR — TELECOM ParisTech, 9 rue Dareau, 75014 Paris, France
† Service de Rhumatologie — Centre d’Évaluation et de Traitement de la Douleur, CHU Pitié-Salpêtrière, 47–83 Boulevard de l’Hôpital, 75013 Paris, France
‡ Centre d’Évaluation et de Traitement de la Douleur, CHU Amiens, 80054 Amiens, et Université de Picardie Jules Verne

Références

[1] https://feelreal.com/
[2]
https://usbeketrica.com/article/la-realite-virtuelle-nouvel-outil-chirurgical-indispensable
[3] Hoffman HG, Chambers GT, Meyer WJ 3rd, et al. Virtual reality as an adjunctive non-pharmacologic analgesic for acute burn pain during medical procedures. Ann Behav Med. 2011;41(2):183–191.
[4] Tashjian VC, Mosadeghi S, Howard AR, Lopez M, Dupuy T, Reid M, Martinez B, Ahmed S, Dailey F, Robbins K, Rosen B, Fuller G, Danovitch I, IsHak W, Spiegel B, Virtual Reality for Management of Pain in Hospitalized Patients: Results of a Controlled Trial, JMIR Ment Health 2017;4(1):e9
[5] Valet M, Sprenger T, Boecker H, Willoch F, Rummeny E, Conrad B, et al. Distraction modulates connectivity of the cingulo-frontal cortex and the midbrain during pain — an fMRI analysis: Pain 2004;109:399–408.
[6] Tanasescu R, Cottam WJ, Condon L, Tench CR, Auer DP. Functional reorganisation in chronic pain and neural correlates of pain sensitisation: A coordinate based meta-analysis of 266 cutaneous pain fMRI studies. Neuroscience & Biobehavioral Reviews 2016;68:120–33.
[7] V. Caggiano, L. Fogassi, G. Rizzolatti et coll, « Mirror neurons differentially encode the peripersonal and extrapersonal space of monkeys », Science, no 324,‎ 2009, p. 403–406.
[8] V. S. Ramachandran, Eric L. Altschuler, The use of visual feedback, in particular mirror visual feedback, in restoring brain function, Brain, Volume 132, Issue 7, July 2009, Pages 1693–1710

NB : article initialement publié dans la revue ANDAR Infos n⁰ 69 — Août 2019 www.polyarthrite-andar.org

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